Résumé :
Oubliés.
Rejetés.
Jetés.
Des gens sans importance, tombés un jour à la rue et dans la déchéance, animaux gênants et nuisibles aux yeux de la société.
Simples denrées périssables ou consommables jetables, auxquels on accorde la même place qu'aux ordures, ils suivent la même voie que les déchets produits en quantités astronomiques par l'organisme insatiable qu'est la mégalopole.
Gaspillage insensé, destruction de ce monde, tout se périme et se jette, tout lasse et s'abandonne pour finir entassé dans ce bourrier immonde, dans la décharge-monde.
À perte de vue s'étend un océan de déchets, alimenté en permanence par d'interminables caravanes de tombereaux aux ventres lourds et pleins, intarissables confluents et dégueulasses effluents qui se déversent ici en une ininterrompue affluence.
Les camions viennent vomir sur ce dépôtoir, y dégueuler en abondance le fruit mal digéré de la consommation de masse.
Nouvel asile pour les plus démunis, nouvelle terre promise où tout est à nouveau possible sans le regard accusateur de ceux qui ont et qui possèdent, ils veulent à nouveau être, pousser dans ce terreau fertile sur lequel la vie va reprendre racine et les abandonnés se reconstruire.
Se réorganiser, retrouver fierté et vie sociale, ils recyclent à leur avantage ces excédents de production et font du gaspillage une bénédiction.
Tout se récupère et se revalorise, tout se mange ou s'utilise.
Et si aux yeux de certains les miséreux eux-mêmes avaient soudain une valeur marchande ?
Tourisme de la misère, impunité totale... le recyclage est en marche.

Mon avis : ✯ ✯ ✯ ✯ ✯ ♥ ♥ ♥ ♥ ♥

Un thriller percutant, addictif, des personnages attachants que vous ne voudrez plus quitter, un renard qui va vous faire fondre...
Une nouvelle fois, Cetro frappe fort, très fort et on ressort de la lecture de « Recyclés » le cœur et l’esprit en vrac. Ce diable d’homme possède le don de vous faire basculer dans son monde dès les premières pages et de vous faire réfléchir, de vous toucher en plein cœur. Lire « Recyclés », c’est entrer dans le monde des sans-voix, des SDF, de ceux que l’on ne regarde plus ou pas, parce qu’ils nous dérangent, nous inquiètent ou nous culpabilisent. Alors nous préférons détourner la tête ou leur donner une pièce pour nous donner

bonne conscience à peu de frais. C’est qu’il est très facile de basculer et de se retrouver à la rue. Mais Cetro dénonce également une autre catégorie de personnes qui vont utiliser la misère des uns pour donner le frisson aux autres, les nantis, en organisant une sorte de tourisme de la misère ; on va voir les nuisibles de la décharge comme on va au zoo.
Et puis, il y a un groupe de malades qui enlève des SDF tous les soirs après les avoir passés à tabac. Ce qui les anime : nettoyer la ville de ceux qu’ils

considèrent comme des détritus, des ordures, une sous-espèce. Et cela m’a mise extrêmement mal à l’aise, m’a rappelé certains discours entendus, certaines prises de position, certaines dispositions prises par des villes qui ont installé du mobilier conçu pour empêcher les vagabonds de s’y installer… Cela commence comme ça.
De l’autre côté, vous avez une communauté de gens de la rue qui se sont regroupés à côté de la décharge et qui ont appris à vivre ensemble. Adam et Simon, dix ans, deux gamins espiègles aux yeux pleins d’étoiles, en font partie ainsi que Rouroux, le renard apprivoisé. Là, nous retrouvons le Cetro chaleureux qui trempe sa plume dans la tendresse et habille ses phrases

d’humour et de poésie. Il nous offre de merveilleux personnages auxquels je me suis attachée : Nathalie, une jeune femme solaire, la mère des enfants ; Joshua, le patriarche, qui guide sa communauté sur les chemins de l’entraide ; Psy le visionnaire qui transmute la réalité et transcende la vie de tous les jours ; Maya, une adorable petite fille de 8 ans et sa poupée de chiffon Peter qui figure sur la couverture du livre ; Erwan tellement humain et qui par amour se montre courageux… Et naturellement, ils vont être confrontés à notre bande d’ignobles assassins. Mais Cetro va encore plus loin et crée un personnage d’une noirceur et d’une perversité incroyables, le comble du cynisme.
J’avoue que j’ai autant adoré ce livre que je l’ai détesté. Il y a eu des moments où je me suis dit : “Stop, j’arrête, je ne lirai pas une ligne de plus” tant j’étais écœurée par ce qui se passait, tant l’humanité telle qu’elle était
décrite était abominable. Et ce d’autant plus que c’est tout à fait crédible,

réaliste… Et puis avec l’art et le talent qui le caractérisent, Cetro m’offrait une pépite de tendresse, d’humour, de poésie, et de nouveau charmée, séduite, je continuais.
Au final, du grand Cetro. Le lire, c’est basculer dans un tsunami d’émotions. Ce diable d’homme nous confronte une fois de plus à une réalité douloureuse et nous fait réfléchir sur notre manière de consommer, sur la mentalité actuelle qui mesure la valeur des personnes à leur pouvoir d’achat, sur notre société d’égoïstes et sur ce qu’est en train de devenir notre humanité si on ne s’y oppose pas. Mais il nous bouleverse également par l’humanité de ses personnages, par son écriture ciselée et son humour assaisonné de tendresse. Alors n’hésitez pas, foncez acheter ce livre, vous ne le regretterez pas et vous n’aurez qu’une envie, celle de découvrir toutes les autres œuvres de l’auteur. Le lire, c’est l’adopter, en faire un ami !
Les rebuts, repoussés parce qu'ils sont pauvres, dépossédés de tout bien, inadaptés à cette vie consumériste par manque de moyens, et surtout parce qu'ils gênent, font peur, et véhiculent ce sentiment de culpabilité et d'injustice qui nuit à la tranquillité d'esprit des gens "bien". Ils sont le fantôme de ce que tout le monde redoute de devenir, et exacerbent toutes les peurs.
Tout commence toujours par des mots, Erwan. Toujours. Les pires horreurs commises dans l'histoire ont d'abord été formulées. Sans élaboration d'éléments de langage visant à habituer les populations à une vision des choses, rien ne serait possible, aucune abomination ne serait communément admise, elles soulèveraient les indignations et les révoltes. Mais en préparant le terrain par l'oralité, alors les mots deviennent les plus meurtrières des armes. Les pensées changent en profondeur, les populations finissent par adopter les mots qui crachent et nient l'humanité des cibles visées pour les faire leurs. Une fois ce travail accompli, une fois les esprits modelés, une fois les pensées privées de mots pour se structurer autrement que par le discours répandu, alors, il est possible de passer à l'acte sans soulever l'indignation qui serait de mise. Car l'acte ne s'adresse plus à des humains, mais à un groupe sans identité, sans humanité, que l'on a appris à insulter, mépriser, détester. J'ai vécu l'installation des premiers mobiliers anti SDF. Anti pauvres, anti compassion. Ils ont peu à peu gagné la ville entière, et toutes les villes, de ce que j'en sais. Personne n'a trouvé à y redire. Il était admis comme juste de vouloir empêcher les crasseux de se poser devant tel ou tel commerce, dans tel ou tel quartier. Normal de vouloir se prémunir contre ces invasions barbares, de vouloir pousser la pauvreté et ses souillures ailleurs, hors de la vue. Car le discours était passé, entré chez les gens par les écrans de télé, le soir devant leur dîner, dans leur intimité, comme un ami digne de confiance. Au fil des mois, plus aucun endroit d'ordinaire squatté par nos camarades n'était accessible.
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